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Harry Durimel

Un procès historique : Le droit à réparation des descendants d'africains réduits en esclavage

Dernière mise à jour : 1 juin 2021

Hier après midi 7/12/17, un Collectif d'avocats conduit par le Bâtonnier EZELIN a plaidé l'affaire de demande de réparation initiée par quelques descendants d'africains réduits en esclavage et deux associations. d'une portée surtout symbolique, ce procès aura au moins eu le mérite de sensibiliser les magistrats, les élèves, les justiciables présents dans la salle sur un mal profond qui hante les sociétés antillaises nées de la traite et de l'esclavage. Nous avons fait la démonstration que les discriminations endurées depuis l'esclavage par leurs ascendants et eux-mêmes leur ouvrent le droit d'engager une bataille juridique dans l'Etat de droit coupable, pour une cause légitime, devant des juges réputés indépendants. Mon engagement aux côtés de mes confrères dans ce procès s'imposait aussi comme devoir de mémoire envers nos ancêtres. Devoir de mémoire, non pas pour sombrer dans le ressentiment et la surenchère, mais pour se projeter dans l’avenir, oser penser et concevoir un projet de développement de la Guadeloupe, insérée dans son environnement caribéen et assumant son histoire avec ses souffrances et ses réjouissances. Je publie ci-après notes de plaidoirie. Le débat est ouvert, sans passion et dans le respect mutuel.


Notes de plaidoirie de Me Harry J. DURIMEL au procès intenté par « Le Mouvement International pour les Réparations » (MIR), le Comité International des Peuples Noirs (CIPN) et divers descendants d’africains réduits en esclavage. Tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre le 7 décembre 2017 LE DROIT À REPARATION DES DESCENDANTS D’AFRICAINS REDUITS EN ESCLAVAGE (A.F.R.E.S) EST UN DROIT IMPRESCRIPTIBLE J’ai en charge de répondre aux fins de non recevoir opposées, ratione temporis, par l’Etat français à l’action des demandeurs. Je m’efforcerai de vous démontrer que les descendants d’africains réduits en esclavage (les A.F.R.E.S, comme il est convenu de les nommer par la diaspora) ont un droit perpétuel à réclamer réparation d’un crime qu’aucun temps, ni aucune loi ne peut couvrir. Et si par extraordinaire, je ne parvenais pas à vous convaincre qu’il faut écarter la fin de non recevoir tirée de la prescription, je vous proposerai alors de constater que les conditions d’acquisition de la prescription quadriennale ne sont pas réunies en l’espèce.


I- SUR L’IMPRESCRIPTIBILTE DE L’ESCLAVAGE EN TANT QUE CRIME CONTRE L’HUMANITE


A- La règle de la non rétroactivité de la loi est inopérante en l’espèce Le défendeur, l’Etat français, oppose aux demandeurs que l’esclavage, crime contre l’humanité, ne serait devenu imprescriptible qu’à compter de la loi du 1er mars 1994, promulguée sous le ministère de Robert Badinter, qui instaure l’article 212-1 du Code pénal, en ces termes : « Constitue également un crime contre l'humanité et est puni de la réclusion criminelle à perpétuité l'un des actes ci-après commis en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique : 1° L'atteinte volontaire à la vie ; 2° L'extermination ; 3° La réduction en esclavage ;…) »


Selon le raisonnement de la défense, toute mise en esclavage commise avant la loi de 1994 n’est pas un crime imprescriptible contre l’humanité. Autrement dit, l’Etat français appelle la règle de la non-rétroactivité (pas d’effet sur le passé) à la rescousse de la prescriptibilité (le fait d’être sujet à la prescription) du crime de réduction en esclavage. Soutenir cela, c’est prendre le législateur pour un corps inintelligent qui aurait posé, en 1994, le caractère d’imprescriptibilité seulement pour l’esclavage à venir ou à prévenir. Considérer que l’esprit de la loi du 1er mars 1994 tendrait à mettre à l’abri de toute poursuite les auteurs, receleurs et ayants droits des esclavagistes relève plus du parti pris que de l’exégèse. Autrement dit, la loi du 1er mars 1994, qui a qualifié juridiquement des pratiques ayant eu cours 4 siècles plus tôt, serait une loi proclamant l’irresponsabilité des esclavagistes. Objectivement, je ne veux pas le croire ! Ce qui est imprescriptible est intemporel. Imprescriptible veut dire « en tout temps », « à jamais ». L’esclavage est, de façon sui generis et de tout temps, un crime contre l’humanité que les lois de 1964 et 1994 n’ont fait que constater. Il ne s’agissait pas de donner une vie juridique à une pratique éminemment criminelle, mais tout simplement de la nommer officiellement. La loi de 1994 ne peut servir d’ancrage à aucune computation de délai. Notre système juridique ne peut offrir de bouclier temporel à ceux qu’il qualifie de bourreaux. D’ailleurs, bien avant la loi du 1er mars 1994, « la Loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964, tendant à constater l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité », avait déjà posé, en son article unique, le principe suivant : « Les crimes contre l'humanité, tels qu'ils sont définis par la résolution des Nations Unies du 13 février 1946, prenant acte de la définition des crimes contre l'humanité, telle qu'elle figure dans la charte du tribunal international du 8 août 1945, sont imprescriptibles par leur nature. »


La Loi du 26 décembre 1964 tendant à constater l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité avait déjà inscrit le crime contre l’humanité dans l’ordre juridique français. Et sur le fondement de ce texte, la jurisprudence avait permis de poursuivre, hors toute considération de temps, des criminels contre l’humanité. Des procédures ouvertes ont donné lieu à une jurisprudence déterminante dans la définition du crime contre l’humanité. Par exemple, le 20 décembre 1985, un arrêt de la Cour de cassation élargit la notion de victime de tels crimes aux victimes de discriminations politiques, en plus des victimes de discriminations raciales ou religieuses, afin que soient jugés ceux qui ont persécuté les Juifs aussi bien que les résistants (notamment Klaus Barbie en 1987 et Paul Touvier en 1992)


B- Crime contre l’humanité, l’esclavage est imprescriptible En droit, l'adjectif imprescriptible qualifie ce qui n'est pas susceptible de s'éteindre par prescription c'est-à-dire par non usage et écoulement du temps.

Dans le langage courant, par analogie, il est aussi la qualité de ce qui ne peut disparaître, de ce qui ne peut être supprimé, de ce qui ne subit aucune atteinte du temps. Exemples : une dette morale imprescriptible, les droits de la nature sont imprescriptibles. Synonymes : éternel, immortel, immuable, impérissable, indestructible, perpétuel, sempiternel. L'imprescriptibilité est le caractère de ce qui est imprescriptible, de ce qui ne peut s'éteindre par prescription, notamment pour un droit ou une action en justice. L'imprescriptibilité du domaine public permet de le protéger de l'acquisition d'un droit par les personnes l'utilisant de façon prolongée. Un droit imprescriptible est un droit dont la légitimité ou la validité ne peut être limitée dans le temps. Exemples de droits imprescriptibles cités par l’article II de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 : "Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté , la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression." Tel est le cas en l’espèce : des descendants d’africains réduits à l’esclavage revendiquent la réparation des atteintes portés aux droits naturels et imprescriptibles de liberté, propriété, sûreté et résistance à l’oppression niés à leurs ascendants.


II- MÊME SI L’ESCLAVAGE N’ETAIT PAS UN CRIME IMPRESCRIPTIBLE CONTRE L’HUMANITE AVANT 1994, LA PRESCRIPTION QUADRIENNALE N’EST PAS ACQUISE


A- L’Etat français a renoncé à se prévaloir de la prescription. L’article 2250 du Code civil dispose que : « Seule une prescription acquise est susceptible de renonciation. » Et l’article 2251 du même Code précise que : « La renonciation à la prescription est expresse ou tacite. La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription. » En 2001, la France reconnaît officiellement que la traite des Noirs et l'esclavage constituaient des crimes contre l'humanité (loi n° 2001-434) appelée « loi Taubira.» En l’espèce, la Loi TAUBIRA a été voté 2 siècles après la fin de l’esclavage. En proclamant que l’esclavage est un crime contre l’humanité, l’Etat français a tacitement renoncé à se prévaloir de la prescription. En redonnant vie juridique à un crime que l’ont s’est appliqué à faire oublier, l’Etat ouvre un espoir pour les ayants droits des africains réduits en esclavage d’obtenir réparation, sinon réhabilitation. Cet espoir ne peut être réduit à néant en recourant aux règles ordinaires de la prescription. Même si le Tribunal devait considérer que l’esclavage n’est pas un crime imprescriptible, il devra constater que la prescription quadriennale n’est pas acquise.


B- La prescription quadriennale n’est pas acquise Principe de droit ancien, il est pérennisé par la loi 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics. Aux termes de l'article 1er alinéa 1er de cette loi, « sont prescrites […] toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ». L’ignorance suspend la prescription quadriennale : L'article 3 de la loi de 1968 dispose que « la prescription ne court (pas)… contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement.»


Cette cause (parmi d'autres) de suspension, introduite par la loi du 31 décembre 1968 pour rompre avec l'état de droit antérieur, oblige donc à reporter le point de départ du délai jusqu'à la date à laquelle le créancier est censé avoir eu connaissance de sa créance. En l’espèce, les demandeurs agissent contre la négation de leur droit à réparation par l’Etat français. Cette négation systématique de leurs droits à réparation et la perpétuation d’un système gangréné par les injustices passées - couvertes par l’Etat français, qui a indemnisé les esclavagistes - sont de nature à faire croire aux descendants d’AFRES (africains réduits en esclavage) qu’ils n’ont aucun droit à réparation. Ce sentiment d’impuissance équivaut à l’ignorance de la créance qu’ils détiennent contre l’Etat ayant orchestré et cautionné ce crime. Dans l’ignorance de cette créance, les descendants d’AFRES ne peuvent se voir opposer aucune prescription quadriennale. Pour qu’il y ait prescription, « il faut que la dette soit certaine, liquide et exigible. » (Cons. d'État, 23 mars 1966, Auclair : Rec. Lebon p. 223. - Cass. Civ., 2o ch., 18 février 1976, Agent judiciaire du Trésor : Bull. civ., II, no 58 ; D. 1976, IR., p. 136) - ce qui n'est pas le cas, par exemple, « d'une dette qui n'interviendrait qu'en application d'un jugement à venir. » (Cons. d'État, 25 avril 1986, Communauté urbaine de Lyon, Rec. Lebon, tables, p. 461). La prescription quadriennale ne s'applique donc pas à « l'acquisition de droits réels immobiliers. (Cons. d'État, 2 mai 1973, Guyot : AJDA 1973, note Paul Amselek) : revendication de biens immobiliers (Cons. d'État, 29 décembre 1911, Casanova : Rec. Lebon p. 1263), ni à « la restitution de biens mobiliers. » L'incertitude est parfois venue de la juridiction judiciaire (compétente depuis la loi du 31 décembre 1968 ) qui a un moment estimé, contrairement à la jurisprudence constante du Conseil d'État (v. ci-dessous) et à celle du Tribunal des conflits que le point de départ du délai résidait, pour certaines créances (responsabilité), « non pas dans le fait générateur objectivement constatable, mais dans la décision de justice (ou l'acte du débiteur) constatant la créance. » (19 janvier 1976, Trésor public c. Deschamps et CPAM de l'Ain : Rec. Lebon, tables, p. 822. - 22 octobre 1979, Agent judiciaire du Trésor c. M. et Mme Jaubert : RDP 1980, p. 1455, note Roland Drago. - 23 janvier 1985, Préfet, commissaire de la République de la région de Lorraine c. Cour d'appel de Metz : Rec. Lebon p. 399, concl. Marie-Aimée Latournerie) (Cass. 2o civ., 21 avril 1992, Agent judiciaire du Trésor c. époux Guen : Bull. civ. II, no 58. - 22 avril 1992, Agent judiciaire du Trésor c. X : Bull. civ. II, no 135, p. 66. - 2 mars 1994, Mothes : Bull. civ. II, no 84, p. 48. - 15 mars 1995, Langlois : Bull. civ. II, no 527. - Cass. 3o civ., 5 novembre 1997, Commune de Toulon : Bull. 1997-3, no 197. - Cass. 1o civ., D'autre part, l'intéressé doit aussi avoir connaissance de toutes les conséquences du fait générateur et être ainsi en possession de tous les éléments permettant de fixer la créance. (Cons. d'État, 26 octobre 1983, Nicolas, no 243320 : Rec. Lebon p. 426. - 6 décembre 2002, Commune d'Ablestroff : Rec. Lebon p. 664) : ainsi, par exemple, en matière médicale (Cons. d'État, 3 avril 1981, Burmann, no 19435. - 30 décembre 1998, Époux Zehar, no 189286 : Droit adm. 1999, no 106. - Cour adm. Nancy, 7 décembre 2000, Leiber, no 96NC020045), Il en est ainsi en matière de « dommages non corporels » (Cour adm. Nancy, 17 juin 2004, Société Air France : JCP A, 2004, p. 1214, note Jacques Moreau), de responsabilité quasi-délictuelle ».Cons. d'État, 22 avril 1992, Avenel, no 71098). 232. Dans certains cas, qui mettent en cause des actes administratifs (unilatéraux), il peut s'agir d'une connaissance de droit : l'intéressé est censé ignorer sa créance si un acte réglementaire n'a pas été publié ou, surtout, si un acte individuel ne lui a pas été notifié : ainsi, « dans tous les cas où est demandée l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité d'une décision administrative, le fait générateur de la créance doit être rattaché, non à l'exercice au cours duquel la décision a été prise mais à celui au cours duquel elle a été régulièrement notifiée » (Cons. d'État, 6 novembre 2002, M. Jean-Claude X. : LPA 2 avril 2003, p. 27, note Jean-Grégoire Mahinga. - v. également Cons. d'État. En l’espèce, les descendants d’africains réduits en esclavage n’ont jamais reçu notification d’un quelconque acte administratif ou judiciaire leur ouvrant un droit à indemnisation et mentionnant les délais de recours, comme l’exige la loi. Dès lors les requérants ne peuvent se voir opposer aucune prescription

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